Je travaille un certain type d'ambiance, en plus de me tremper le bout du petit orteil dans les séquences dialoguales. Je vous invite donc à me faire peur par vos commentaires afin que je perde l'équilibre et y bascule à pieds joints.
L'été arrive : http://www.youtube.com/watch?v=zLTG3Vn7MN0
FredK
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Les rideaux frissonnent au gré du
vent qui s’engouffre dans la chambre d’hôtel. En se penchant sur la balustrade
de la fenêtre ouverte, notre regard plonge de dix-huit étages, heurte au
passage la voie du métro aérien et rebondit pour finir écrasé sur le trottoir
d’une grande avenue. Vue de cette hauteur, celle-ci a davantage l’apparence
d’une tranchée creusée afin de révéler les façades des gratte-ciels que d’une
voie de circulation où s’entassent Cadillac et centaine d’autres bolides à
quatre roues se bousculant à toute vitesse.
Chicago, ville du vent, traversée
par l’air et par les hommes.
En se retournant vers l’intérieur
de la chambre, on constate que le courant d’air y a remplacé la vigueur des
hommes. Le décor vide est transi, les éléments figés dans une posture étrange,
comme s’ils s’étaient subitement soustraits à la force qui les animaient à mi-chemin.
Les draps ne sont défaits que d’un côté du lit, une chaise est renversée par
terre, la porte menant à la chambre contigüe est entrouverte et claque chaque
fois que la brise la repousse. Une ampoule brisée trône au milieu d’une lampe
ayant perdu son abat-jour. Un tiroir est grand ouvert et menace de choir sur le
sol.
La lumière grise de l’extérieur tombe
sur quelques pièces de vêtements jetées de façon éparse sur le plancher,
suggérant qu’une chaude lutte s’y est déroulée. Parmi l’amas de soie, de satin
et de lin entremêlé trône une paire de chaussures noires, récemment cirées au
kiosque situé à l’entrée de l’hôtel. L’air froid qui emplit la pièce s’instille
dans les moindres replis de tissu, effaçant les dernières marques de la
frénésie qui y régnait il y a quelques heures.
Pour en témoigner, il ne reste que
quelques traces de pas humides devant l’entrée de la salle de bain, ainsi que
les éclaboussures de sang qui ont été projetées sur le mur lorsque le crâne du
cadavre gisant à son pied a éclaté.
Chicago, ville des abattoirs,
traversée par le crime et la passion.
Quinze rues plus loin, dans un
édifice de trois étages, se trouve un bureau que l’on pourrait croire désert.
Contre l’intérieur de la porte vitrée est posé un carton aux coins racornis et
aux couleurs désaturées indiquant « à louer » depuis belle lurette.
Pourtant, s’en remettre à cette apparence est faire fi du ronronnement du
ventilateur ainsi que des bribes de conversation qui filtrent à travers la cloison
et qui trahissent la présence d’au moins deux individus.
La première chose que l’on remarque
en se risquant à l’intérieur est le ventilateur plafonnier qui tremble sur son
axe dans un grondement menaçant. Les bulbes de ses ampoules sont tous brisés,
de sorte que la seule lumière qui éclaire l’espace de travail est celle qui
filtre par les interstices du store entrouvert, projetant des rectangles
d’ombre dans la pièce. Les pales de l’appareil tournent à pleine puissance, envoyant
voler en l’air la poussière lorsqu’elle ose se déposer sur le sol. Un tel
courant d’air éparpillerait aux quatre coins du local les documents déposés sur
la table de travail qui fait dos à la fenêtre et face à la porte, mais il n’y a
rien dans la pièce qui ressemble de près ou de loin à un document écrit.
Le second élément sur lequel se
porte notre attention est une mouche qui tente de fuir par la fenêtre ouverte,
mais qui n’arrive pas à se glisser entre les barreaux du store, se heurtant
constamment contre l’un d’eux et rebondissant en arrière avant d’amorcer une
nouvelle tentative d’évasion.
La dernière chose qu’aperçoit
un intrus sont les deux chaises en bois et au dossier droit de part et d’autre de
la table, placées là comme pour inviter un client à s’asseoir et à discuter. Un
téléphone à cadran est posé au pied d’un tabouret à trois pieds, lui-même
positionné dans un coin de la salle. Ces éléments constituent le seul mobilier
du bureau, mis à part les personnages qui l’habitent.
Chicago, bas-fond peuplé de
criminels.
Ses semelles pleines de terre salissant
la table sur laquelle il repose ses jambes, Frankie Yale, 27 ans, cent trente
livres et six pieds sept, le nez aquilin et le teint cireux, finit d’astiquer
le barillet de son revolver. Déposant le contenant d’huile sur le bureau parmi
les chiffons et autres brosses de nettoyage, il fait rouler le chargeur d’une
légère impulsion du pouce. Satisfait de la fluidité du mouvement, il y
introduit une cartouche, referme l’arme d’un coup expérimenté du poignet et la
pointe en direction du tabouret où est assis l’autre occupant de la pièce. Il
adresse à son collègue de bureau un sourire exhibant ses dents, demandant
implicitement s’il apprécie cette forme de roulette russe.
Edward O’Brien, 45 ans, pesant cent
quatre-vingts livres et mesurant cinq pieds sept, qui jusque-là écorchait
tranquillement une orange de Floride tout en guettant le téléphone, cesse un
moment son mouvement répétitif et se tient coi. Même s’il est au fait que les
humeurs de meurtre qui traversent sporadiquement le désaxé qui lui sert de
partenaire sont passagères, l’irlandais en bretelles et bras de chemise sait
que Frankie appuiera sur la gâchette à la moindre contrariété. O’Brien se
contente donc de fixer la goutte de sueur qui dégouline jusqu’au bout de la
narine celui qui lui braque un fusil au visage. Remarquant que les yeux
injectés de l’homme à l’air malade sont peu à peu envahis par un malaise
physique grandissant, il se demande combien de temps encore ce dernier pourra
résister à l’envie de renifler.
Trop mal à l’aise pour continuer
son petit jeu, Frankie renâcle un grand coup et puis s’essuie à l’aide de sa
manche. Mauvaise idée : la poussière de ses vêtements sales cause une
inflammation dans sa muqueuse nasale et il éternue bruyamment. Le coup part, la
balle venant se loger dans le ventilateur qui se détache du plafond et vient se
fracasser violemment sur la table, ne laissant au tireur qu’une fraction de
seconde pour se jeter sur le sol et éviter à ses jambes d’être broyées.
« Maudit abruti de crétin d’imbécile
de débile profond! » crie l’irlandais, en plus d’ajouter une poignée de
qualificatifs tirés du gaélique explicitant la peu glorieuse ascendance de
l’américain pendant que ce dernier tousse dans la poussière de plâtre. « T’attendais
vraiment juste que ça te tombe sur la tête? Maudit innocent! » ajoute
O’Brien alors qu’il enjambe les débris du plafond les poings serrés.
Alors qu’un poing levé s’apprête à
s’abattre sur lui, Frankie lève son revolver et appuie son canon sur le front
de son agresseur. Celui-ci cesse brusquement son attaque.
« Il n’est même plus
chargé. » dit O’Brien, d’un ton neutre. « Je t’ai vu, t’as mis qu’une
balle à l’intérieur et c’est elle qui a descendu le plafonnier. »
« Irais-tu te rasseoir, s’il
te plaît? » réplique l’américain d’un ton suave. «À attendre gentiment sur
ton tabouret que le téléphone sonne? »
Il exhibe à son interlocuteur un
sourire carnassier.
Frustré, doutant du fait qu’il
reste une balle dans le barillet, mais ne pouvant remettre en question l’issue
pour lui si jamais il y en avait une, l’irlandais aux énormes favoris se
retourne, fait quelques pas et se laisse tomber sur le banc. Frankie,
satisfait, se rassoit sur la chaise faisant face à la porte et aux débris de
son bureau, sur lequel il dépose son arme. Il s’adonne alors à la contemplation
de la mouche qui tente toujours d’échapper par la fenêtre, un peu comme l’homme
qu’il a tué ce matin.
Lui retirer les informations dont
avait besoin son employeur avait été difficile, mais les deux hommes de main
s’étaient inspirés d’une phrase qui leur avait été dite au téléphone, et dont
la véracité venait d’être prouvée de nouveau à l’instant.
Comme quoi on obtient plus en étant
poli et armé qu’en était simplement poli.